Ce leadership des femmes multiculturelles que l’on peine à comprendre

C'est celui d'une femme qui ne marche pas, elle navigue. Chaque jour, chaque réunion, chaque conversation est une navigation à vue dans un territoire qui est le sien, mais qui la traite en étrangère. Elle est en mode survie, souvent. En mode guerre, parfois. Une guerre silencieuse, polie, menée à coups de non-dits, d’idées ignorées puis reprises par un autre, de sourires qui sont des murs.

MULTICULTURELLELEADERSHIP INCLUSIF

Sandrine JOSEPH

7/28/20256 min temps de lecture

Ce leadership des femmes multiculturelles que l’on peine à comprendre

Il existe une forme de leadership en entreprise. Il dérange. Il fascine. Il interroge. Il crée des crispations sans forcément en comprendre l’origine. Entre rejet total et admiration sans limite. Ces femmes leaders ont l’art de déranger, par l’empreinte laissée par leur présence : les femmes multiculturelles.

Ces femmes qui ont grandi, évolué ou construit leur mindset au carrefour de plusieurs mondes. Elles ont un avantage décisif : elles maîtrisent naturellement plusieurs référentiels. Qu'elles aient une culture familiale multiple et/ou un parcours international dense, elles partagent un point commun : une navigation instinctive entre plusieurs systèmes de valeurs, de communication et de décision.

Des spécialistes de la falaise de verre

Recherchées pour faire bouger les lignes sous la dénomination "profil atypique", elles sont les spécialistes de la falaise de verre : remplacées une fois la crise passée. Aussi curieux que cela puisse l'être, dans les grandes entreprises, leur on-boarding se traduit par une volonté de les intégrer dans la culture d’entreprise, plus que ce recevoir avec perspicacité, leur capacité à intégrer les normes de leur environnement tout en les enrichissant de leurs propres références. En effet, elles croisent de manière instinctive un ensemble complexe de perspectives, au cœur de leur excellence managériale et performance économique. C’est précisément la raison pour laquelle elle dérangent autant qu’elles fascinent.

Vous en avez sans doute déjà observée. Vous avez même peut être ressenti en leur présence un sentiment d’admiration. Tant, elle avance, sûre d’elle, s’exprime avec éloquence.

Leur assurance défie ceux qui doutent, ceux qui n’osent pas prendre de risques. Oui, ces femmes visionnaires dérangent autant qu’elles suscitent de l’admiration - secrète.

Elle dérange a dessein, ou parfois par pure naïveté dans sa jeunesse - l’ordre et les codes établis : ainsi elle est qualifiée d'hautaine, arrogante, … Souvent, elle devient une femme autant à abattre, qu'à célébrer.

Ainsi, elle apprend des tumultes de la navigation en haute mer. Entre mer d’huile et passage du cap Horn, apprend à s’entourer et à laisser derrière elle, les bagages inutiles. Son principal challenge, ne jamais avoir l’air d’être en guerre - au risque d'incarner le stéréotype de la femme énervée - quand bien même, il y a tant de rudes batailles à mener. Avec l'expérience, son assertivité lui permet d’apprendre les rouages de politiques internes, de jouer avec les règles, tutoyer les limites, marquer sa différence avec élégance.

Point de rigueur scientifique dans mon propos, certes. C’est un témoignage de rencontres singulières. Vous ne lirez pas de discours savant sur l’apport de neurosciences et autres concepts théoriques qui font légion ici-même. Ce que je souhaite mettre en exergue, c'est leur approche singulière qui les rend impalpables par les cohortes des managers et leaders formés depuis des décennies à des stéréotypes comportementaux dans des grandes institutions.

Ainsi, Je revendique un discours de sincérité, synthèse de nombreuses rencontres professionnelles de femmes de toutes cultures.

Je ne parle pas de femmes Racisées. Je parle de toutes les femmes dont la différence crée de l'irrévérence.

Ce que je constate : leur leadership déroute les analyses traditionnelles car il est ambivalent, insaisissable. Il oscille en permanence entre ce que l'on considère à tort comme des pôles opposés : le masculin et le féminin, l'analytique et l'intuitif, l'autorité et l’empathie. Les femmes multiculturelles plus que toutes autres ont dû forger leur identité business singulière. C’est une alchimie. Des prétendus opposés, elles créent une synthèse, comme des ambidextres savent utiliser leurs mains de manière indifférenciée. Ce sont des leaders ambidextres.

Si elles sont si performantes, pourquoi ne sont-elles pas légion aux postes clés ?

La description de ces aptitudes et compétences soulève une question inévitable : si ces leaders possèdent de tels atouts, pourquoi ne sont-elles pas massivement chassées et placées à la tête des grandes organisations ? La réponse est inconfortable. Elle réside dans les structures de pouvoir et les biais cognitifs de ceux qui recrutent. Ainsi, l'homophilie, cette prédisposition que les individus ont à se rapprocher de personnes qui leur ressemble se met à l'œuvre :

  • La reproduction des élites : on recrute ceux qui nous ressemblent. Les comités de direction privilégient inconsciemment des candidats qui partagent les mêmes codes et les mêmes parcours. Un profil multiculturel demande un effort cognitif supérieur pour être "compris" ; il est plus rassurant de choisir un clone. Et si on rajoute le "Cultural Fit", on obtient un outil d'exclusion polie, polisse. Il signifie rarement "incompétente", mais plutôt "elle ne communique pas comme nous". Le leadership multiculturel, par sa nature, challenge la culture en place. Il est donc perçu comme un risque.

  • L’aversion au risque : un parcours non-linéaire est interprété comme un signe d'instabilité, alors qu'il est la preuve d'une agilité exceptionnelle. On préfère un risque de stagnation avec un profil familier à une chance de transformation avec un profil différent.

  • L'accès aux bons réseaux : ces femmes manquent de sponsors – au sens de personnes influentes qui, dans les cercles de pouvoir, vont prendre un risque pour elles. Le sponsoring fonctionnant sur la reconnaissance et la projection, il avantage naturellement les profils similaires à ceux déjà en place.

L'absence de ces femmes au sommet n'est donc pas le signe d'un manque de candidates, mais le symptôme d'une défaillance profonde dans les mécanismes de sélection du pouvoir, de l'aversion au risque de changer de gouvernance, de pensée et d'action.

Ces pionnières, reflet de l'adage "l'exception confirme la règle"

Certaines parviennent à briser ces barrières. L'exemple Ilham Kadri est à ce titre emblématique. Née au Maroc, formée en France et au Canada, sa carrière mondiale l'a conduite à la tête de géants comme Solvay, puis Syensqo . Sa capacité à diriger des organisations d'une immense complexité ne vient pas seulement de ses compétences, mais de sa capacité à synthétiser ses différentes identités culturelles. Elle incarne la preuve que ces obstacles peuvent être surmontés, et que lorsque c'est le cas, le résultat est un leadership d'une puissance exceptionnelle. Un autre exemple rare dans la Tech, celui d' Élisabeth Moreno Avant sa carrière politique, elle a été Présidente de Lenovo France avant de devenir Vice-Présidente de Hewlett-Packard Afrique. Elle est aujourd'hui Présidente de Ring Capital et Ring Africa.

Ces femmes inspirent des générations de femmes à se réaliser dans leurs ambitions. Elles montrent aussi l'importance de partir à l'international pour aiguiser ses talents, accélérer sa carrière.

De l'adaptation permanente à l'influence stratégique

Pour atteindre ce niveau de leadership, ces leaders ont fait de leur capacité d'adaptation, un levier d'influence. Ces leaders ne naviguent plus dans la complexité. Elles l'incarnent et la maîtrisent. Leur influence ne repose une autorité naturelle forgée par la synthèse multiculturelle, transformant le poids de l'expérience en vision stratégique.

Le vent du changement

Nous naviguons à vue dans un monde incertain. Les profils issus des filières classiques et aux parcours qui cochent toutes les cases ne sont plus adaptés aux enjeux. Précisément parce qu'ils cochent des cases. Le conformisme de pensée dans la recrutement, voire l'investissement (equity) est devenu un handicap pour la performance globale des entreprises.

Le temps n'est plus à la transformation mais à l'accélération. Ces leaders sont les atouts majeurs pour y parvenir. Elles sont l'incarnation d'une gouvernance réellement inclusive. Leur succès crée un "effet de cascade" d'une puissance phénoménale, attirant des talents de tous horizons qui se sentent enfin autorisés à être eux-mêmes. Elles ne sont pas obnubilées par cocher des cases "diversités", de part leur action, elles les rendent vivantes et performantes.

Leur leadership ambidextre, est le système d'exploitation parfait pour la complexité. Il est par nature agile, résilient et "anti-fragile". Il sait quand accélérer et quand consolider, quand diriger et quand fédérer, quand parler et quand écouter.

En conclusion : cultiver sa différence

Ce leadership n'est pas un "style" que l'on peut apprendre dans un MBA, coaching, ou autre mentorat ... C'est une alchimie, une synthèse supérieure née d'un parcours que nul ne peut imiter.

Chère lectrice, toi qui t'es reconnue dans cet article, accepte-toi. Déranger n'est pas un problème dans un environnement prompt à faire de tes capacités un levier de changement et de performance durable. Il convient de s’accepter, telle que l’on est. Parfois prendre la décision de partir vers des terre plus fertiles à la croissance de son potentiel. Sortir de la chrysalide pour enfin volet au plus haut.

Amis recruteurs, respectez leur singularité, mieux, inscrivez-vous dans une zone d’inconfort avec elles, c’est précisément dans cette zone qu’elles excellent et vous feront exceller.

Article publié sur linkedin le 28 juillet 2025.

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